Fiscalité

Cotisations et litiges en forte hausse à Revenu Québec

Les cotisations de Revenu Québec ont bondi depuis cinq ans. Et cette offensive du fisc a entraîné une hausse substantielle des litiges avec les contribuables. Coup d’œil sur des statistiques inédites obtenues par l’Association de planification fiscale et financière.

Québec mise beaucoup sur la lutte contre l’évasion fiscale pour revenir à l’équilibre budgétaire. Mais ces objectifs de récupération de plus en plus ambitieux mettent beaucoup de pression sur Revenu Québec.

En 2012-2013, Revenu Québec a récupéré 3,5 milliards de dollars dans les poches des contribuables, un bond de 73% en cinq ans. Pour y arriver, le fisc a embauché 1100 employés, ce qui a entraîné une forte hausse des cotisations.

L’an dernier, près de 48 000 contribuables ont reçu un avis de cotisation après avoir eu la visite d’un vérificateur. Il s’agit d’une augmentation de presque 40 % sur 5 ans.

Or, plusieurs fiscalistes dénoncent l’attitude cavalière du fisc. « On voit de plus en plus de cotisations arbitraires », constate Étienne Gadbois, fiscaliste associé chez De Grandpré Chait.

Même son de cloche de la part de Louis Tassé, avocat fiscaliste chez Couzin Taylor (EY). 

« On voit beaucoup plus de cotisations qui n’ont pas un fondement aussi solide que dans le passé. »

— Louis Tassé, avocat fiscaliste chez Couzin Taylor

Par exemple, Revenu Québec a une plus grande propension à cotiser pour des années prescrites. Normalement, une entreprise ne devrait plus recevoir d’avis de cotisation après trois ou quatre ans, sauf dans certaines circonstances bien précises.

En outre, le fisc applique de plus en plus souvent la pénalité de 50 % pour grossière négligence, alors que cette pénalité peut seulement être imposée lorsque le contribuable a fait une déclaration erronée qui relève de la négligence ou de l’incurie.

LES CONTRIBUABLES CONTRE-ATTAQUENT

Cette augmentation des cotisations augmente la bisbille entre le fisc et les contribuables. « On dirait qu’il y a un éveil de la population à combattre les cotisations non fondées », estime Me Gadbois.

En effet, le tiers des contribuables qui se font cotiser à la suite d’une vérification décident de s’y opposer.

L’an dernier, Revenu Québec a reçu plus de 15 000 avis d’opposition de la part de contribuables qui s’estimaient lésés. Il s’agit d’une progression de 28 % en 5 ans. « Mais toutes proportions gardées, le taux d’avis d’opposition n’a pas augmenté par rapport au nombre d’avis de cotisation, il a même diminué », fait remarquer Stéphane Dion, porte-parole de Revenu Québec.

Toutefois, la majorité des contribuables n’obtiennent pas gain de cause en déposant un avis d’opposition, un processus de révision interne, impartial et sans frais.

Dans 59 % des cas, Revenu Québec maintient sa cotisation en entier. Et bien d’autres cotisations sont partiellement maintenues.

Malgré tout, l’avis d’opposition n’est pas nécessairement un coup d’épée dans l’eau pour le contribuable. Certains dossiers peuvent se régler si le contribuable fournit des documents ou des preuves qu’il n’avait pas au moment de la vérification. « Mais si le contribuable n’a rien de neuf à présenter, l’opposition est peine perdue », croit Me Gadbois.

DAVANTAGE DE LITIGES

De plus en plus de contribuables franchissent une autre étape et portent leur litige devant les tribunaux, comme en témoigne la hausse de 26 % du nombre d’appels de cotisation déposés à la cour depuis 5 ans.

Mais sur les 1233 dossiers, très peu se rendent jusqu’au bout.

La moitié des contribuables s’entendent à l’amiable avec le fisc. « De plus en plus de dossiers se règlent. Je crois que cela s’explique par la faiblesse des bases de cotisation du fisc », estime Nicolas Simard, avocat fiscaliste chez Spiegel Sohmer.

Toutefois, les statistiques fournies par Revenu Québec ne précisent pas les montants en cause, ce qui donnerait un portrait plus juste.

Par ailleurs, plus du quart des contribuables se désistent avant de passer devant le juge.

« Les gens veulent s’opposer, mais ils n’ont pas nécessairement l’argent. La PME qui se retrouve avec un avis de cotisation de 400 000 ou 500 000 $ va souvent penser faire faillite plutôt que d’essayer de contester. C’est une question de coûts. »

— Nicolas Simard, avocat fiscaliste chez Spiegel Sohmer

Les procédures peuvent coûter des dizaines, voire des centaines de milliers de dollars. Et il n’y a jamais de garantie de résultat. Au contraire, les jugements sont cinglants pour les contribuables. Seulement le quart d’entre eux ont gain de cause sur toute la ligne.

L’an dernier, Revenu Québec a remporté 65 % de ses procès et gagné partiellement 8 % des dossiers.

Sur 5 ans, « 79 % des décisions rendues ont été gagnées ou partiellement gagnées par Revenu Québec, précise M. Dion. Bref, quatre fois sur cinq les tribunaux ont donné totalement raison ou partiellement raison à Revenu Québec. »

Le Protecteur du citoyen s’en mêle

Les contribuables sont de plus en plus nombreux à cogner à la porte du Protecteur du citoyen pour se plaindre du fisc. En 2012-2013, le Protecteur du citoyen a reçu 875 plaintes contre Revenu Québec, un bond de 39 % en 5 ans.

Au lieu d’entreprendre des procédures longues et coûteuses, c’est la voie qu’a adoptée une entreprise manufacturière montréalaise aux prises avec un avis de cotisation de 1,2 million de dollars.

La famille avait demandé à trois reprises une rencontre avec le vérificateur pour avoir l’occasion de lui soumettre une dernière fois son point de vue. Mais le vérificateur a ignoré sa requête et a envoyé sa cotisation juste avant la fin de l’année fiscale de Revenu Québec. Dès le lendemain, Revenu Québec a entrepris les procédures de recouvrement, raconte Nicolas Simard, avocat fiscaliste chez Spiegel Sohmer.

Pour se faire payer, le fisc peut geler les comptes bancaires, inscrire des hypothèques légales sur la maison et envoyer des avis aux clients de l’entreprise pour leur demander d’envoyer l’argent qu’ils doivent à l’entreprise directement à Revenu Québec parce que l’entreprise a une dette fiscale. « Tout ça fait très mal à la réputation de l’entreprise », assure Me Simard.

Grâce à l’intervention du Protecteur du citoyen, Revenu Québec a dû interrompre ses procédures de recouvrement et a été obligé de rencontrer l’entreprise, ce qui a permis de réduire le montant des cotisations et d’en venir à une entente.

Toutefois, le Protecteur du citoyen n’est pas une solution miracle. L’an dernier, seulement 15 % des plaintes portées contre Revenu Québec ont été jugées fondées.

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